corpus : la guerre
Texte 1 : La Bruyère, Les Caractères
J'entends corner sans cesse à mes oreilles : L 'homme est un animal raisonnable ; qui vous a passé cette définition ? sont-ce les loups, les singes et les lions, ou si vous vous l'êtes accordée à vous-mêmes ? C'est déjà une chose plaisante que vous donniez aux animaux, vos confrères, ce qu'il y a de pire, pour prendre pour vous ce qu'il y a de meilleur, laissez-les un peu se définir eux-mêmes, et vous verrez comme ils s'oublieront, et comme vous serez traités. Je ne parle point, ô hommes, de vos légèretés, de vos folies et de vos caprices qui vous mettent au-dessous de la taupe et de la tortue, qui vont sagement leur petit train, et qui suivent, sans varier, l'instinct de la nature ; mais écoutez-moi un moment. Vous dites d'un tiercelet de faucon qui est fort léger, et qui fait une belle descente sur la perdrix : «Voilà un bon oiseau» ; et d'un lévrier qui prend un lièvre corps à corps : «C'est un bon lévrier». Je consens aussi que vous disiez d'un homme qui court le sanglier, qui le met aux abois, qui l'atteint et qui le perce: «Voilà un brave homme.» Mais si vous voyez deux chiens qui s'aboient, qui s'affrontent, qui se mordent et se déchirent, vous dites «Voilà de sots animaux», et vous prenez un bâton pour les séparer. Que si l'on vous disait que tous les chats d'un grand pays se sont assemblés par milliers dans une plaine, et qu'après avoir miaulé tout leur soûl, ils se sont jetés avec fureur les uns sur les autres, et ont joué ensemble de la dent et de la griffe ; que de cette mêlée il est demeuré de part et d'autre neuf à dix mille chats sur la place, qui ont infecté l'air à dix lieues de là par leur puanteur, ne diriez-vous pas : "Voilà le plus abominable sabbat dont on ait jamais ouï parler ?» Et si les loups en faisaient de même : « Quels hurlements, quelle boucherie ! » Et si les uns ou les autres vous disaient qu'ils aiment la gloire, concluriez-vous de ce discours qu'ils la mettent à se trouver à ce beau rendez-vous à détruire ainsi, et à anéantir leur propre espèce ; ou près l'avoir conclu ne ririez-vous pas de tout votre coeur de l'ingénuité de ces pauvres bêtes ? Vous avez déjà, en animaux raisonnables, et pour vous distinguer de ceux qui ne se servent que de leurs dents et de leurs ongles ; imaginé les lances ; les piques, les dards, les sabres et les cimeterres, et à mon gré fort judicieusement ; car avec vos seules mains que pouviez-vous vous faire les uns aux autres, que vous arracher les cheveux, vous égratigner au visage, ou tout au plus vous arracher les yeux de la tête ? au lieu que vous voilà munis d'instruments commodes, qui vous servent à vous faire réciproquement de larges plaies, d'où peut couler votre sang jusqu'à la dernière goutte, sans que vous puissiez craindre d'en échapper.
Texte 2 : Voltaire, Micromégas
« Ô atomes intelligents, dans qui l’Être éternel s’est plu à vous manifester son adresse et sa puissance, vous devez sans doute goûter des joies bien pures sur votre globe : car, ayant si peu de matière, et paraissant tout esprit, vous devez passer votre vie à aimer et à penser ; c’est la véritable vie des esprits. Je n’ai vu nulle part le vrai bonheur ; mais il est ici, sans doute. » À ce discours, tous les philosophes secouèrent la tête ; et l’un d’eux, plus franc que les autres, avoua de bonne foi que, si l’on en excepte un petit nombre d’habitants fort peu considérés, tout le reste est un assemblage de fous, de méchants et de malheureux. « Nous avons plus de matière qu’il ne nous en faut, dit-il, pour faire beaucoup de mal, si le mal vient de la matière ; et trop d’esprit, si le mal vient de l’esprit. Savez-vous bien, par exemple, qu’à l’heure que je vous parle, il y a cent mille fous de notre espèce, couverts de chapeaux, qui tuent cent mille autres animaux couverts d’un turban, ou qui sont massacrés par eux, et que, presque par toute la terre, c’est ainsi qu’on en use de temps immémorial ? » Le Sirien frémit, et demanda quel pouvait être le sujet de ces horribles querelles entre de si chétifs animaux. « Il s’agit, dit le philosophe, de quelque tas de boue grand comme votre talon. Ce n’est pas qu’aucun de ces millions d’hommes qui se font égorger prétende un fétu sur ce tas de boue. Il ne s’agit que de savoir s’il appartiendra à un certain homme qu’on nomme Sultan, ou à un autre qu’on nomme, je ne sais pourquoi, César. Ni l’un ni l’autre n’a jamais vu ni ne verra jamais le petit coin de terre dont il s’agit ; et presque aucun de ces animaux qui s’égorgent mutuellement n’a jamais vu l’animal pour lequel ils s’égorgent.
- Ah ! malheureux ! s’écria le Sirien avec indignation, peut-on concevoir cet excès de rage forcenée ! Il me prend envie de faire trois pas, et d’écraser de trois coups de pied toute cette fourmilière d’assassins ridicules. – Ne vous en donnez pas la peine, lui répondit-on ; ils travaillent assez à leur ruine. Sachez qu’au bout de dix ans, il ne reste jamais la centième partie de ces misérables ; sachez que, quand même ils n’auraient pas tiré l’épée, la faim, la fatigue ou l’intempérance les emportent presque tous. D’ailleurs, ce n’est pas eux qu’il faut punir, ce sont ces barbares sédentaires qui du fond de leur cabinet ordonnent, dans le temps de leur digestion, le massacre d’un million d’hommes, et qui ensuite en font remercier Dieu solennellement. »
Le voyageur se sentait ému de pitié pour la petite race humaine, dans laquelle il découvrait de si étonnants contrastes.
Texte 3 : Sternberg, 188 contes à régler
Les jumeaux
Les Adrèles,en particulier,impressionnèrent vivement les Terriens qui avaient passé quelques jours sur leur monde. En curieux , en touristes.
Humains, tout à fait humains, toujours trés laids et assez mal batis, ils naissaient tous jumeaux, du moins physiquement jumeaux. Mentalement, au contraire, ils etaient tout à fait dissemblables . En effet, l'un etait pensée, l'autre action . Et ceux qui pensaient ne pouvaient agir, de même que ceux qui agissaient n'avaient pas le moindre germe de pensée en eux.
Malheureusement, les penseurs consacraient la moitié de leur temps à créer et l'autre moitié à manipuler leurs jumeaux dans la violence et la destruction . Et ceux-ci les ecoutaient illuminés , fanatisés , puis leur obéissaient à travers tout, incapable de la moindre objection.
Cela donnait une suite sans fin de conflits, de constructions toujours suivies de demolitions, de tueries sacrées et religieuses puisque les penseurs donnaient volontiers dans le mysticisme. Autant de meurtres absurdes qui equivalaient à de véritables suicides car la mort du jumeau agissant entraînait inéluctablement la mort de son jumeau pensant.
Risque permanent,connu de tous , accepté par tous, car il semblait les fasciner.
En somme, quand on les regardait avec un certain recul, les Adrèles pouvaient passer pour les etres dont les moeurs étaient le plus insidieusement semblables à celles des Terriens.
Par quels procédés la guerre est-elle dénoncée dans ces textes ?
1. Des argumentations indirectes : la fiction met en scène l'absurdité de la guerre
- des situations extraordinaires : l'univers de la fable
- le regard de l'étranger : la caricature de nos moeurs
> la fable nous permet de prendre du recul sur la guerre, qui nous parait absurde.
2. Une déshumanisation à travers l'image : mise en scène de la sauvagerie
- une violence animale : les images de notre sauvagerie
- progressions tragiques : vers l'horreur et la pitié
> les images visent à frapper l'imagination avec des exagérations révoltantes
3. Une ironie qui vise à interpeller le lecteur
- ironie vise à faire participer le lecteur, à prolonger le raisonnement
- une dénonciation dans le refus de l'absurde et la victoire de l'intelligence.
> ironie = une arme du moraliste contre les armes
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